Transferts de la diaspora et taux de change r?el
Black Immigrant Daily News
Lien vers la maison d’?dition : https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-98865-4_8
Ha?ti : Arabie saoudite des Cara?bes ?
Tout semble s?parer Ha?ti de l’Arabie saoudite. Le premier tra?ne une r?putation de pays le plus pauvre d’Am?rique, le second ?voque la richesse p?troli?re coulant ? flots. Pourtant, les deux pays ont au moins deux points communs : 1) des milliards de dollars se d?versent sur leurs ?conomies chaque ann?e et 2) certaines cons?quences de ces flux ne sont pas n?cessairement positives.
Les sources de ces dollars sont bien entendu diff?rentes, la manne du p?trole pour les saoudiens et le dur labeur de la diaspora pour les Ha?tiens. Les montants sont aussi largement diff?rents en valeur absolue : 202 milliards de rente p?troli?re pour l’Arabie saoudite contre 3,3 milliards de transferts pour Ha?ti en 2019. Mais comme souvent en ?conomie, c’est le total des flux par rapport ? la richesse nationale produite par ann?e (PIB) qui compte. En 2019 par exemple, les revenus du p?trole repr?sentaient 24,6 % du PIB saoudien alors que les envois de la diaspora comptaient pour 20,5 % du PIB ha?tien.
En Ha?ti, tout ou presque d?pend de ces 20,5% (23,8% en 2020 d’ailleurs !), sans lui la consommation s’effondrait, on ne pourrait presque plus rien acheter de l’?tranger, le taux de change partirait en fl?che et l’inflation exploserait. Les finances publiques tomberaient dans le coma, car des importations qui chutent soudainement signifient que les recettes douani?res d?gringolent et que l’?tat se retrouve tr?s vite incapable de payer policiers et professeurs aussi bien que de subventionner la gazoline des motos-taxis que le diesel des turbines de l’EDH. Autant dire qu’Ha?ti ne peut se passer de la manne des transferts si elle veut survivre ? court terme.
Toutefois, malgr? les millions d’Ha?tiens qui arrivent ? se nourrir chaque jour, ? payer leur loyer, ou ? envoyer leurs enfants ? l’?cole gr?ce aux transferts, rien ne dit que cette pluie de devises ne charrie pas des effets moins d?sirables. Et c’est l? qu’il faut revenir ? la comparaison avec l’Arabie Saoudite. En effet, il existe une maladie ?conomique bien r?elle, la <> qui survient quand un pays se met ? recevoir de plus en plus de devises sans qu’il y ait un effort pour produire plus de biens et services, de fa?on plus efficace et ? moindre co?t. Ce mal frappe souvent les pays exportateurs de mati?res premi?res (p?trole, diamants, or, …) et fait qu’il leur est de plus en plus difficile de produire autre chose que les mati?res premi?res en question. Ainsi l’Arabie saoudite n’arrive-t-elle pas ? produire et exporter grand-chose en dehors du p?trole depuis que celui-ci est exploit? en 1939.
Ce n’est pas un choix, les Saoudiens ont investi des milliards pour essayer de diversifier leurs exportations et remplacer leurs importations, sans grand r?sultat. ? chaque fois, ce qu’ils essaient de produire en dehors du p?trole est toujours trop cher par rapport ? ce m?me bien ou service achet? ? l’?tranger. La m?me chose se produit chez d’autres exportateurs de mati?res premi?res : Venezuela, Angola, Congo, Russie, beaucoup de pays arabes (mis ? part des exceptions r?centes comme les ?mirats arabes unis et le Qatar). Un ph?nom?ne similaire peut se produire chez un pays d?pendant des transferts. Vous recevez des devises que l’?conomie nationale n’a d?ploy? aucun effort ? produire, tout comme l’Arabie saoudite quand le prix du p?trole passe d’un coup de 60 ? 100$. La pluie de dollars s’intensifie sans que ce soit le r?sultat d’une plus grande productivit? de l’?conomie. R?sultat : vous avez les moyens d’importer encore plus, mais un cercle vicieux s’installe. Vous ne pouvez qu’exporter encore plus de p?trole si vous ?tes l’?conomie saoudienne ou <> encore plus de migrants travaillant ? l’?tranger dans le cas d’Ha?ti.
Par quel m?canisme la <> des mati?res premi?res ou celle des transferts arrive-t-elle ? se transformer en <> et emp?che le pays de produire autre chose ?
Quand ces devises arrivent dans un pays, elles ont, entre autres, deux effets majeurs. D’un c?t?, elles vous donnent les moyens d’importer en quantit? et emp?chent au taux de change de grimper encore plus. Ceci rend les importations plus accessibles et relativement moins ch?res par rapport ? une situation o? ce flux de devises n’existait pas. J’entends d?j? les critiques dire, si les transferts emp?chent le taux de change d’augmenter, pourquoi donc le cours du dollar est-il pass? de 5 gourdes ? plus de 120 gourdes en 40 ans ? En fait, cette multiplication par 24, aussi douloureuse soit-elle, n’est rien par rapport ? ce qui aurait pu se passer en l’absence des transferts. Nos voisins dominicains et jama?cains ont vu leur taux de change nominal se multiplier respectivement par 55 et 84 sur la m?me p?riode. La conjoncture ?conomique d’Ha?ti a-t-elle ?t? tellement favorable pour ?viter que son taux de change augmente autant que celui de ses voisins ? ?videmment non. Un seul facteur nous a emp?ch? de connaitre le m?me sort : l’ampleur des transferts de la diaspora par rapport ? la taille de l’?conomie, autrement dit les transferts en pourcentage du PIB, lesquels sont pass?s de 4,7% ? 24,8% en moins de 35 ans.
D’un autre c?t?, les transferts alimentent la demande pour tout ce qui ne peut ?tre import? dans l’?conomie et que les ?conomistes appellent <>. Que sont donc ces <> ? Principalement des services : commerce, transport, t?l?communications, ?ducation, sant?, … Vu que la demande pour ces <> augmente plus vite que leur production, leur prix augmente, alimentant ainsi l’inflation. Au final, les importations paraissent toujours moins ch?res par rapport ? ce qui est produit localement et si vous essayez de produire pour exporter, les prix ?lev?s dans le secteur des non-?changeables (services en particulier) rendent votre production plus ch?re et non comp?titive.
Une fa?on de mesurer cette comp?titivit? est d’utiliser le taux de change r?el. De quoi s’agit-il ? Non, ce n’est pas le taux de change dont on parle souvent dans les m?dias et qui pr?occupe tous les esprits. Ce <> est un indicateur qui combine ? la fois le <> que tout le monde conna?t et le niveau des prix locaux par rapport aux prix ? l’?tranger. Quand il augmente, les biens et services produits localement deviennent moins chers par rapport ? ceux produits ? l’?tranger et quand il baisse, l’inverse se produit. L’?tude que j’ai r?alis?e avec Dudley Augustin visait justement ? investiguer si une augmentation des flux de transferts de la diaspora ne conduisait pas ? une appr?ciation du taux de change r?el qui rendrait les biens et services produits en Ha?ti de plus en plus chers par rapport ? leurs concurrents ?trangers. Malheureusement, les r?sultats de l’?tude semblent corroborer l’hypoth?se qu’Ha?ti souffrirait de la maladie hollandaise et que les envois de fonds de nos compatriotes contribuent ? l’appr?ciation du taux de change r?el, sur le long terme.
Que faire alors ? Faudrait-il refuser de recevoir les transferts ? Absolument pas ! L’?conomie entrerait dans une crise sans pr?c?dent comme on l’a vu au d?but du texte. Mais, il faut bien garder en t?te que les effets potentiellement nocifs des transferts semblent r?els et ne dispara?tront pas par magie. M?me quand un beau jour on arriverait ? r?tablir un minimum de s?curit? publique et de stabilit? politique, r?duire le d?ficit budg?taire et stabiliser la gourde par rapport au dollar, le probl?me pourrait demeurer entier. Les biens et services produits en Ha?ti risquent toujours d’?tre trop chers par rapport ? ceux de l’?tranger et il serait d?s lors difficile de produire pour remplacer les importations ou exporter. Dans un tel sc?nario, difficile d’esp?rer que le PIB ha?tien augmente fortement sur une longue p?riode et que beaucoup d’emplois formels et durables se cr?ent.
Des solutions cr?atives s’imposent. Il faudra trouver le moyen de r?duire le co?t de ce qui est produit localement alors que le flux des transferts tend ? avoir l’effet inverse. Quelques pays ont pu gu?rir de la <>, leur exemple pourrait ?tre instructif. Des politiques sectorielles cibl?es pourraient ?tre envisag?es. Les transferts, pourraient-ils ?tre canalis?s vers les investissements ?Gardons cela pour un prochain article.
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