Comme Ticket et Le Nouvelliste le font ? chaque fois que l’invit? d’honneur de Livres en folie accepte de s’y pr?ter, Daphney Valsaint Malandre a pos? toutes sortes de questions ? Makenzy Orcel et il y a r?pondu. De ses premiers vagissements sur terre ? son premier amour, jusqu’aux questions qu’on ne lui pose jamais et dont il est le seul ? conna?tre les r?ponses, le jeune ?crivain, plus connu ? l’?tranger que dans son pays, d?voile ici des pans de lui-m?me. Avec cette entrevue r?partie dans l’?dition du jour du Nouvelliste et online dans Ticket, vous allez mieux conna?tre l’homme et appr?cier de nouvelles facettes de l’auteur.
Premier jour sur terre ?
Cette date r?sonne comme un quiproquo, une mauvaise blague. Un jour quelqu’un l’a racont?e avant toi, et tu en as rigol? en la racontant ? d’autres, jusqu’? ce qu’elle devienne malheureusement une certitude, une confirmation de sa pr?sence au monde. 18 septembre 1983. Port-au-Prince. La question de la libert? individuelle se pose ici. <>, pour reprendre les mots d’Onfray. Pourquoi 18 septembre 1983 ? Pourquoi Port-au-Prince et pas ailleurs ? Si j’avais le choix, j’aurais choisi quelle date, quel lieu. Le sentiment d’appartenance ? un lieu, ? un groupe, une id?ologie me semble une sorte de prison qui nous confine dans une image rang?e de nous-m?mes, de l’humanit?, en ce sens qu’il est difficile d’en ?valuer les limites, qu’il nous ampute de la multiplicit? du <> du monde. Et si on appartenait ? l’imaginaire ? Et si tout ce qui touche ? l’humain nous touchait ? J’ai v?cu avec l’id?e de manquer d’enfance, jusqu’? ce que je comprenne qu’elle ?tait cette conscience du monde, cette qu?te qui me pousse encore ? ?crire. L’intimit? de l’?criture nous expose ? la certitude du n?ant, est une haute conscience de soi, de l’autre, plus vaste que la plan?te Terre. Ma naissance s’intitule La douleur de l’?treinte, mon premier recueil de po?me publi? en 2007, ? l’?ge de 24 ans.
Premi?re ?cole ?
Un petit coll?ge ? Fontamara. Coll?ge Mixte Anacaona. Le directeur, un adventiste rouge, ?tait un dur tendre. En m?me temps qu’il me consid?rait comme son fils, Rigwaz (fouet fait de lani?res de cuir tress?s) ? la main, il me faisait r?citer, disons plut?t chanter : <>. On oubliait tr?s vite ce qu’on avait appris, parce qu’on les apprenait pour les examens, mais pas pour les mettre en pratique dans la vie courante. Et le rare ?l?ve qui pouvait formuler une phrase dans la langue de Voltaire ?tait consid?r? comme un g?nie, il avait la meilleure place dans la classe et dans la salle de cantine. Est-il possible de construire une soci?t?, un pays, quand l’?cole est un lieu de torture, de discrimination ? Avec deux ?coles, une pour les riches et une pour les pauvres, dans deux langues diff?rentes, une plus honor?e que l’autre ?
Premi?re fess?e ?
J’ai ?t? un enfant turbulent et curieux. Je trainais dans tous les recoins du quartier de Martissant. D?s que je rentrais de l’?cole, je jetais mon sac d’?colier et m’empressais d’aller jouer au foot dans la rue de l’h?tel Habitation Leclerc devenu aujourd’hui Parc de Martissant. Les perdants se faisaient traiter de <> et devaient laisser leur place ? une autre ?quipe, donc il aurait fallu ? tout prix gagner si on voulait rester. Naturellement, transport? par le jeu, je ne voyais pas le temps passer. Soudain, une main me tirait de l?. Celle de ma m?re. J’en voyais de toutes les couleurs. Elle me battait souvent avec rage. Avec des larmes aux yeux. Comme si, en allant jouer dans cette rue, avec les autres, j’avais choisi la mort, j’?tais d?j? mort. J’?tais son unique enfant. Il ne fallait pas que je me fasse gangrener, zigouiller, comme tant d’autres ados du quartier ? l’?poque. Je devais vivre, aller loin, tr?s loin. C’?tait sa mission. Elle ?tait pr?te ? consentir tous les sacrifices pour. Elle me battait avec cette peur noire dont parle Ta-Nehisi Coates dans son tr?s bel essai Between the World and Me dans lequel il raconte son enfance ? Baltimore, expose, interroge la situation des Noirs aux ?tats-unis et les injustices dont ils sont l’objet. Ma m?re ne me battait pas parce que j’avais fait quelque chose de mal, ni parce que je n’avais pas le droit de jouer, mais parce qu’? part elle, personne d’autre ne se souciait de ma s?curit?. De mes petits co?quipiers, il n’en est pas un seul qui soit vivant aujourd’hui. Ils sont tous morts, flingu?s, lynch?s, d’?puisement. Toutes les conditions ?taient r?unies ? Martissant pour que je devienne un voyou de grand chemin, finisse dans le caniveau, la t?te trou?e, dans une mare de sang. Sans vouloir encourager la fess?e, la violence envers les enfants, si je suis vivant aujourd’hui, c’est gr?ce aux fess?es de ma m?re, gr?ce ? sa peur.
Premi?re grande honte ?
La b?tise conna?t un tel succ?s aujourd’hui, qu’on se demande si la honte est un sentiment humain. Moi, j’ai honte de voir Ha?ti dans l’?tat o? elle est. J’ai honte de voir des tambours parlants d’intellectuels se comporter comme des ch?vres, des l?ches, reproduire dans leur cercle ce qu’ils reprochent aux politiques : l’exclusion, la s?cheresse d’esprit, le nombrilisme… Enfant, j’entendais souvent les adultes brailler : <>, les enfants sont des petits animaux. <> pour un enfant dont le p?re est absent, une faute irr?parable, une salet? qu’on ne peut pas laver. Aujourd’hui encore, dans certains milieux, on r?p?te ces b?tises. Je me rappelle toutes ces expressions malveillantes correspondaient ? ma condition d’enfant pauvre et sans p?re. Ma honte ?tait constante, d’autant plus ? l’?poque quand on habitait, aujourd’hui encore j’imagine, dans une rue qui s’appelle Soray, on ?tait une carte marqu?e, un cas perdu, un vaurien. On n’avait le droit d’?tre ami qu’avec ceux qui habitaient dans la m?me rue. On venait au monde pour finir comme les autres, dans le caniveau. Mais ma plus grande honte de tous les temps ?tait celle-l?. J’avais dix ans, j’?tais malade. Ma m?re m’accompagnait ? un centre hospitalier situ? ? Bizoton. Pour commencer, le m?decin, un grimaud ventru, a rempli ? la h?te mon <> qu’il a demand? ? ma m?re de signer. Naturellement, ma m?re ?tait incapable de le faire, parce qu’elle ne savait ni lire et ni ?crire. Moi je pouvais, mais j’avais mal partout, pouvais ? peine respirer, tellement je br?lais de fi?vre. Bien s?r que sur le moment signer ce <> c’?tait pas le plus important, mais cette andouille de m?decin nous avait quand m?me renvoy?. Il fallait trouver quelqu’un pour signer ce foutu <>. On lui avait fait perdre son temps. En ?crivant ces phrases, je ne peux m’emp?cher de pleurer, de revoir ma m?re pleurer toutes les larmes de son corps, tout en tenant mon corps br?lant serr? contre sa poitrine.
Premier flirt ?
Elle s’appelait Esther. Jolie fille mince et ?l?gante. La plus belle du quartier. Le soir on se donnait rendez-vous pr?s des latrines pour ne rien faire, juste se regarder intens?ment, se toucher maladroitement. La peur du d?but. L’incapacit? ? donner suite aux besoins du corps.
Premier baiser ?
Dans les latrines avec Esther. C’?tait bref et intense. Je n’ai pas r?ussi ? dormir cette nuit-l?, tellement j’?tais ? la fois excit? et heureux.
Premier amour ?
Je ne veux pas citer son nom ici. Sa m?re l’a forc?e ? me quitter, parce que pour eux, et pour beaucoup d’imb?ciles dans le monde, 2 m?g pa fri (deux pauvres ne peuvent aller loin).
Premi?re grande passion ? La lecture. Elle m’a permis de mieux questionner, cerner certaines probl?matiques de notre soci?t?. De comprendre pourquoi ce m?decin avait humili? ma m?re. La lutte des classes. Le racisme. Les in?galit?s sociales. Le monde des grands. Celui des petits. Gr?ce ? la lecture, j’ai pu apprendre l’histoire de mon pays, du monde, me construire, tenter de me d?passer.
Premi?re sc?ne de Jalousie ? Plut?t une crise dont j’avais mis du temps ? me remettre. La fille, dont je ne veux pas citer le nom ici, avait une relation cach?e avec un ami ? moi, un tra?tre. Ce jour-l?, j’ai pris une cuite m?morable. Sur le moment, j’avais envie de le tuer, ce salaud, pour avoir bais? ma copine, en plus, il ?tait moche avec un gros ventre. Sinon, on ?prouve tous de la jalousie ? un moment ou ? un autre. On se demande pourquoi elle ou lui et pas moi. Des politiciens, scientifiques, des artistes/?crivains s’envoient souvent des boulets rouges, comme des gamins. On a presqu’envie de dire que c’est humain. Mais parfois c’est tout simplement plut?t con. En Ha?ti par exemple, on n’a m?me pas le droit de choisir ses amis, ses bars, ses putes, sans que ?a fasse un drame. Tel auteur pense que les ?crits de tel autre, c’est de la merde. ?a jase comme une pie, pour ne rien dire. De tout ce que j’ai d?j? entendu : << La po?sie de Syto Cav?, c’est de la soupe froide pour zombie. Euph?le Milc? est l’?crivain ha?tien le plus mauvais de tous les temps. La langue de Kettly Mars est pauvre. L’oeuvre de Lyonel Trouillot n’est qu’un mauvais copier-coller de son ma?tre Ren? Philoct?te. Il n’y a aucune exigence chez Dany Laferri?re. Ce n’est pas Marie Chauvet qui a ?crit Amour, Col?re, Folie, sa trilogie, mais un de ses amants. James No?l, c’est quoi ?a ? Gary Victor aussi, c’est quoi ?a ? Guy R?gis Junior est une arnaque. Non, Frank?tienne n’est pas un g?ant de la litt?rature ha?tienne. Personne n’est ?pargn?. Tout le monde est nul, il n’y a que moi, moi, moi, je m’aime. ?a parle, cr?ve de jalousie et d’aigreur. Et dans ce jeu macabre de <> ou <>, le chasseur devient souvent la cible, r?ciproquement. On exulte dans le d?binage au lieu d’aborder le texte, de poser les bonnes questions, celles qui ont du sens et nous demandent de nous d?passer dans les r?ponses. M voye dlo m mouye tout moun. Pour revenir ? question, j’en veux encore un peu aujourd’hui ? ce tra?tre d’avoir bais? ma copine, mais cette exp?rience m’a ouvert les yeux sur plein d’autres choses de la vie.
Premi?re fois que vous avez fait l’amour ?
Dans les latrines avec Esther. C’?tait marrant, on sait comment elles sont les latrines dans les quartiers populaires ? Port-au-Prince. C’est abominable. ?a schlingue ? des kilom?tres. L? on ?tait dedans, et on ne sentait/voyait rien du tout. Les cadavres de cafards, de rats, la mare d’urine sous nos pieds, les <> trac?s sur les murs par les chieurs sans papier, tout ?a n’existait pas. Il n’y avait qu’Esther et moi, le tremblement de nos corps, de nos l?vres, nos soupirs…
Premier po?me ?
Il y en a eu des premiers. Mais ils ?taient pour la plupart mauvais. Le moins mauvais, je l’ai ?crit apr?s le d?luge qui a ravag? la ville des Gona?ves en 2004. Il est dans mon premier recueil, La douleur de l’?treinte.
Premi?re fois sur sc?ne ?
? l’?glise protestante de Martissant. L’?glise, c’?tait le seul lieu o? nous, les plus petits, les plus faibles, ?tions s?rs de ne pas nous faire taper dessus par les plus grands. Lors d’une r?union de jeunesse, comme on dit, on cherchait quelqu’un pour pr?senter quelque chose. J’ai donn? mon nom. J’ai lu un po?me. Depuis ce jour-l?, on m’appelait <>. Atis legliz la, kil? wap li pou nou ank??
Premi?re lecture ?
Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll ? Ultravocal ou Dezafi de Frank?tienne ? Zoune chez sa ninnaine de Justin Lh?risson ? Le petit prince de Saint-Exup?ry ? Mon bel oranger de Vasconcelos ? Je ne m’en souviens plus. J’avais soif. J’ai lu comme un d?rat?. D?s que j’entendais quelqu’un parler d’un livre, je voulais le lire, et je le lisais. Dans le quartier, on n’avait pas souvent le courant ?lectrique, la nuit je continuais ? lire ? la lueur d’une bougie. Proust, C?line, Fante, Faulkner, Flaubert, Tolsto?, Dosto?evski, C?saire, Damas, Marquez, Llosa, Alexis, Roumain, Marie Vieux Chauvet, La Bible, Pouchkine, Gogol, Tchekhov, Ma?akovski, Pasternak, Steinbeck, etc., etc. Je les ai tous d?vor?s.
Premier dipl?me ?
Des plaques d’honneur, oui, beaucoup. Mais des dipl?mes universitaires, z?ro. Je n’ai jamais aim? l’?cole. Les devoirs. Les notes. Les d?j? dits, rab?ch?s dix mille fois. Le prof qui revient tous les ans avec le m?me petit cahier qu’il recopie sur le tableau, ou dicte effront?ment aux ?l?ves. Ou l’institutrice, ? bout de nerfs, se soulageant en rouant de coups les petits innocents de sa classe. L’universit? non plus ne m’a pas s?duit plus que ?a.
Premier texte publi? ?
La douleur de l’?treinte. Ce texte a ?t? pour moi, l’est encore, je l’ai dit, une nouvelle naissance. J’y criais, crachais mes jeunes angoisses ou mes angoisses de jeune auteur, mes fantasmes, mes d?sirs, mes peurs. J’ai d?couvert dans la po?sie le moyen d’?tre au plus pr?s de la langue, de la travailler au corps. En dehors de ce travail d’artisan, la litt?rature meurt, et avec elle ceux qui veulent qu’elle sauve le monde.
Premier s?jour en prison ?
Pas encore. Mais on n’est jamais ? l’abri d’un s?jour en prison ou d’une condamnation, surtout dans un pays aussi fragile qu’Ha?ti, o? l’on n’a pas vraiment la loi de sa bouche, de ses oreilles, de ses pieds, o? la justice est un ventriloque entre les mains d’une minorit?. L’histoire p?nitentiaire ha?tienne est m?connue. Les prisons duvali?ristes ont an?anti plein de nos espoirs. Ces m?mes pratiques continuent sous d’autres formes, d’autres couleurs, perp?tuant un pass? couvert de sang, comme si autrement on ne savait pas faire, la libert? nous donnait le tournis. Dans Les Latrines, je raconte l’histoire de l’amour interdit entre deux d?tenus dans une cellule au P?nitencier national, et les malheurs auxquels ils faisaient face au quotidien. Au-del? de cette belle rencontre entre deux jeunes ha?tiens, il ?tait question d’attirer l’attention du lecteur sur certains aspects humains de la d?tention chez nous. J’entends souvent des gens dire, vaut mieux ?tre condamn? dans une prison ? l’?tranger qu’?tre libre en Ha?ti. L’?tat, la justice, les organisations de d?fense des droits humains devraient se pencher s?rieusement sur la question.
Premier exil ?
Depuis la nuit des temps, l’homme a toujours boug?. On porte tous en nous ce fameux syndrome, celui du d?part. Par ailleurs, l’exil peut ?tre un arrachement int?rieur comme il peut ?tre un d?placement dans l’espace, volontaire ou sous la contrainte. On (les artistes surtout) est souvent confront? ? ce qu’on appelle <>. Petit Pays, premier roman de mon ami Ga?l Faye, raconte l’histoire d’un enfant qui a exil? de son enfance. Yanick Lahens, dans son essai L’Exil : entre l’ancrage et la fuite, l’?crivain ha?tien, ?crit ceci : <>. Pour ma part, je m’absente d’Ha?ti pour un moment, pas parce que je ne l’aime plus, rien ? voir, mais parce que j’ai envie de voyager, voir autre chose, rencontrer d’autres gens, d’autres cultures. Le plus difficile, en tout cas pour moi, est le sentiment de ne jamais atteindre le lieu d’arriv?e de son voyage. Le point de vue de Bourdieu sur la question ne m’a pas aid? plus que ?a : <>. Bourdieu n’a aucun moyen de savoir que je suis ? la recherche d’une enfance. Une petite parenth?se qui j’esp?re ne va rien vous apprendre. Des ann?es 60, ou peut-?tre avant, jusqu’? aujourd’hui, un faux d?bat, je dirais m?me une mauvaise blague, a envahi l’espace litt?raire ha?tien. Des questions qui, par paresse intellectuelle et ?troitesse d’esprit, se posent encore dans les sous-bois de la pr?tendue intelligentsia ha?tienne. Y a-t-il un ?crivain ha?tien du dehors et un ?crivain ha?tien du dedans ? Ces questions se posent aussi dans les milieux intellectuels africains. Tel ?crivain s’octroie la l?gitimit? de parler (ou au nom) du pays, du peuple, pour la simple raison qu’il y est rest? – peut-on prendre au s?rieux un intellectuel ou un ?crivain (soi-disant engag? aujourd’hui) qui a v?cu peinard en Ha?ti dans les 60-70 ? Il para?t qu’il y en a m?me (ou les parents) qui assuraient la l?gitimit? intellectuelle, animaient les soir?es mondaines du r?gime, pendant que d’autres comme Ren? Depestre, Rassoul Labuchin, Liliane Pierre Paul, Anthony Pascal (Konp? Filo), Dany Laferri?re, pour ne citer que ceux-l?, devaient ficher le camp ou se faire zigouiller parmi la foule -, en consid?rant ceux qui vivent ? l’ext?rieur comme des illustrations de la vivacit? culturelle ha?tienne, mais ill?gitimes pour parler des probl?matiques ha?tiennes, car ?loign?es des r?alit?s du pays, alors qu’une bonne partie des grandes oeuvres litt?raires ha?tiennes ont ?t? produites par ces <>-l?. Si la litt?rature sert ? parler de son pays, ? s’?riger en chef de cartel, en p?re-l?gitimation, tous les imb?ciles de ce lugubre panel ont raison, mais si elle sert ? donner ? voir l’humain dans ses fragilit?s et ses v?rit?s profondes, il est grand temps qu’on rectifie le propos. Revenons ? l’exil, on a tous le droit d’aller o? on veut dans le monde. O? l’on se sent bien, chez soi. Stig Dagerman a raison. La vie, c’est un voyage impr?visible entre des lieux qui n’existent pas. Notre besoin de consolation est impossible ? rassasier.
Premier succ?s litt?raire ?
D?s la sortie de mon premier recueil. Tout le petit milieu litt?raire ha?tien connaissait le nom : Makenzy Orcel. Mais ?a s’arr?tait l?. C’est Les immortelles qui a mis le feu. Ensuite L’Ombre animale. C’est incroyable. Je suis sur toutes les routes du monde depuis 2010. Le plus difficile c’est de vivre tout ?a le plus naturellement possible, ne pas aller dans le sens de la reconnaissance, continuer le travail et apprendre ? le faire mieux, loin des applaudissements et des distinctions.
Premier prix d?croch? ?
Le prix Thyde Monnier de La Soci?t? des Gens de Lettres ? Paris pour Les immortelles.
Premi?re conf?rence ?
Au Coll?ge Saint-Louis de Bourdon en 2007, dans le cadre d’une journ?e consacr?e au livre.
Premi?re participation ? Livres en folie ?
Une fois. Je ne me rappelle plus l’ann?e.
Premier salon du livre ?
Le salon du livre de Montr?al, avec A l’aube des travers?es, mon troisi?me recueil de po?mes publi? chez M?moire d’encrier.
Premi?re pol?mique ?
La pol?mique existe partout dans le monde, dans tous les milieux, mais, en Ha?ti, elle d?passe l’entendement. Elle me donne envie de vomir. Exemple : il y a un auteur ha?tien connu qui gronde ? tout bout de champ, ? toutes les <> avec lesquelles il r?ve de coucher ou d’?crire un ?-peu-pr?s-bouquin, que j’avais offert un pr?servatif ? une lectrice en pleine s?ance de vente-signature. Allez savoir pourquoi. Ce m?me vieux grincheux va plus loin : <>. Ils sont nombreux comme ?a les petits aigris qui me tuent avec leur bouche d?s que j’ai le dos tourn?, qui s’autoproclament ?crivains, philosophes, intellectuels, sans jamais pondre une ligne, un clou, comme si le fait d’avoir une bouteille de bi?re en main et une cigarette au coin des l?vres suffisait ? faire d’eux des g?nies de leur g?n?ration. R?cemment, lors d’une causerie autour de mon travail, il y a un na?f, sans doute une victime du cercle des fla-fla, qui a pris la parole pour dire que pour lui cette invitation de Livres en Folie est un moyen, je reprends son verbe, pour me <> en tant qu’?crivain. Voil? le niveau de ceux qui se disent <>. Autres b?tises : <> Ce dont parlait Jacques Roumain dans les ann?es 30 se perp?tue encore avec fureur dans une soci?t? ha?tienne fractur?e, malade on ne peut plus. Dans la nouvelle La proie et l’ombre, l’auteur a mis cette phrase dans la bouche de son personnage, Daniel : <>. Il y a trop de ma?tres, de fr?res ennemis, et tr?s peu de place pour l’?change. Et on ne peut m?me pas appeler ?a pol?mique. Ils ne font que remuer de l’air pour attirer les projecteurs sur eux. C’est path?tique.
Premi?re voiture ?
J’ai d?velopp? tr?s t?t une fascination pour la conduite automobile. Et je savais qu’un jour j’apprendrais ? conduire. Ce que j’ai fait. Ensuite, j’ai achet? le permis. Six mille gourdes cash. J’aime conduire. Mais quand je me suis offert ma premi?re voiture, une Chevrolet Tracker noire ann?e 2001, j’ai d?couvert autre chose. Etre seul dans sa voiture c’est comme ?tre aux toilettes (pas les latrines). C’est un grand moment avec soi-m?me. Des souvenirs reviennent. On a le temps de les ?plucher les uns apr?s les autres, jusqu’? ce qu’un chauffard surgisse de nulle part et manque de te rentrer dedans, et l?, m?me l’Ha?tien le plus respectueux au monde serait incapable de se retenir : <>
Premier travail ?
Au minist?re des Affaires ?trang?res. J’avais fait des petits boulots avant, mais celui-l? c’?tait mon premier vrai travail avec un contrat et tout le reste. J’avais parl? ? un ami de la situation difficile dans laquelle je me trouvais. Un jour, il m’a fait appeler au minist?re et j’ai sign? sans r?fl?chir. C’?tait un grand jour pour ma m?re et moi. J’allais pouvoir gagner ma vie, m’occuper de nous, d?panner comme je peux mes amis (es) en gal?re. Mais par-dessus tout, j’allais me rendre utile, faire partie d’un corps. En plus, j’?tais pr?pos? aux archives, les papiers ?crits, les textes, la m?moire, j’?tais dans mon ?l?ment. Mais quelques mois plus tard, je me suis vite rendu compte que tout ?a, c’?tait du temps perdu, du faux. L’?tat te donne un salaire (quel salaire ?), mais pas de responsabilit?. Chacun fait comme bon lui semble. Je n’ai pas fait long feu. Je suis parti vivre mon r?ve : ?crire/voyager.
Premier gros chagrin ?
Avant, je connaissais pas mal de tristesses. La mort d’un ?tre cher. Les souffrances d’un (e) ami (e), mais pas comme ce qui s’est pass? le 12 janvier 2010 en Ha?ti. C’est le plus grand choc que j’aie connu dans ma vie. Les images sont encore l?. Certains jours, elles m’envahissent. Elles veulent m’emporter dans leurs vagues, m’engloutir. Je r?siste comme je peux.
Premier mariage ? Je n’ai jamais ?t? mari?. Mais si je dois le faire un jour, ce ne sera pas pour prouver ? la femme que je l’aime, ni sous la pression sociale, mais juste par curiosit?, pour voir si le matin d’apr?s sera diff?rent, ou juste pour la f?te, une putain de f?te.
Encadr?
Dr?les de questions ? Makenzy Orcel.
Les questions que l’on ne me pose jamais ?
Avec tous ces voyages, tous ces projets d’?criture, aurais-je le temps pour m’occuper de mon enfant si j’en avais un ? Je crois que la r?ponse est oui. On trouve toujours le temps pour les belles choses de sa vie.
Les questions auxquelles vous ne voulez jamais r?pondre ?
Les plus attendues.
Les questions que vous aimeriez qu’on vous pose ?
Celles auxquelles je ne pense jamais.