Qui peut trafiquer les franchises douani?res?

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Une franchise est une exemption partielle ou totale de taxes, d’imp?ts ou de droits de douane. Elle peut ?tre accord?e pour une marchandise ou une cat?gorie de marchandises. Trois principales caract?ristiques permettent ? l’Administration g?n?rale des douanes (AGD) de d?finir une marchandise: son type, son poids et sa valeur CIF (co?t, assurance, fret). Parall?lement, trois questions aident l’AGD ? l’identifier de fa?on pr?cise : 1- Qu’est-ce que c’est ? 2- De quoi est-ce fait ? 3- ? quoi ?a sert ou quelle est sa finalit? ?

Pour obtenir une franchise, une personne, une entreprise ou un organisme sans but lucratif (OSBL) doit d’abord ?crire au minist?re r?gulant son domaine d’activit? en lui fournissant la liste exhaustive des marchandises pour lesquelles elle (ou il) sollicite l’exemption. Celle-ci doit ?tre accord?e pour une dur?e sp?cifique qui, elle-m?me, d?pend du type d’activit? exerc?e. Par exemple, une ?glise doit soumettre sa demande au minist?re des Affaires ?trang?res et des Cultes alors qu’une entreprise commerciale produit sa requ?te aupr?s du minist?re du Commerce et de l’Industrie. Ensuite, le minist?re analyse le dossier re?u, et en cas d’approbation, d?cide de solliciter la franchise du minist?re de l’?conomie et des Finances (MEF).

La demande est trait?e par la Direction de l’inspection fiscale (DIF) du MEF qui ?value les documents justificatifs afin de d?cider si la franchise sera accord?e ou non. Quand un dossier est agr??, la DIF avise la douane de l’identit? de la personne, de l’entreprise ou de l’organisme qui vient d’obtenir l’exon?ration ainsi que les diff?rentes marchandises exempt?es. Dans le cas o? la franchise est compl?te, le m?me m?morandum est achemin? ? la Direction g?n?rale des imp?ts (DGI) car la douane pr?l?ve aussi les taxes pour d’autres institutions publiques. En ce sens, la DGI doit ?tre inform?e que la Taxe sur le chiffre d’affaires (TCA) ne sera pas collect?e sur ces marchandises.

Dans le cas d’une ?glise, la franchise est g?n?ralement compl?te : aucune taxe n’est pr?lev?e. Si la franchise est refus?e, l’AGD et la DGI n’ont pas besoin d’?tre avis?es. S’il s’agit d’une organisation non gouvernementale (ONG) ou d’un OSBL, la premi?re phase du dossier est trait?e par l’Unit? de coordination des ONG du minist?re de la Planification et de la Coop?ration externe (MPCE). La liste des marchandises, la quantit? requise ainsi que la dur?e d’utilisation pr?vue doivent ?tre clairement pr?cis?es ? chaque demande et octroi de franchise. La dur?e varie selon l’entreprise ou l’institution et son type d’activit?. Par exemple, une firme de construction ?trang?re effectuant des travaux publics en Ha?ti peut solliciter une franchise pour d?douaner ses ?quipements pendant la dur?e de son contrat avec l’?tat ha?tien. Pour tout d?passement de quantit? ou de dur?e, une nouvelle franchise doit ?tre sollicit?e.

Th?oriquement, tout citoyen, tout organisme ou toute entreprise peut solliciter une franchise. Aussi, un groupe de citoyens peut-il la solliciter pour une oeuvre de bienfaisance ou un don ? la suite d’une catastrophe naturelle. Ladite demande pr?cisera alors le contexte de la demande et l’utilisation qui en sera faite. Une entreprise peut aussi formuler une demande de franchise pour un lot de marchandises selon une modalit? sp?cifique pr?vue par la loi. Les minist?res ci-dessus mentionn?s d?cideront de l’opportunit? de l’accorder suivant la mission du requ?rant et le bien-fond? de la demande.

Par exemple, la DIF n’aurait jamais accord? une franchise d’importation de longue dur?e d’armes automatiques ? l’?glise anglicane ha?tienne puisque cette activit? ne rentre pas dans sa mission d’?vang?lisation ou de services ? la communaut?. L’importateur ou le commissionnaire en douane agr?? impliqu? dans le scandale a d?clar? d’autres types de marchandises dans lesquelles ?taient dissimul?es les armes d’assaut. Rappelons que pour d?douaner une marchandise le broker doit fournir ? l’AGD l’original de la franchise qu’il utilise.

Les franchises ne sont octroy?es d’office pour aucune institution, m?me pour l’administration publique. La DIF analyse soigneusement le bien-fond? de toutes les demandes avant de les agr?er ou de les rejeter. ?videmment, on n’est jamais exempt du trafic d’influence ni de l’ing?rence politique en Ha?ti.

De son c?t?, la douane ne fait qu’ex?cuter la d?cision de la DIF mais ne peut ni accorder ni invalider une franchise. Le code des investissements pr?voit les crit?res d’octroi pour des investisseurs priv?s. La franchise dans ce cas fait partie int?grante d’une politique publique d’incitation visant ? attirer des investissements.

La marge de manoeuvre du broker

Le syst?me douanier ha?tien est d?claratif. Seul un commissionnaire en douane agr?? ou courtier (broker en anglais) peut produire une d?claration ? travers son compte utilisateur dans le syst?me douanier d?nomm? Sydonia-World. En Ha?ti, la loi r?gissant le fonctionnement du commissionnaire en douane lui attribue la responsabilit? juridique de la d?claration qu’il produit. Il est cens? repr?senter son client devant l’?tat ha?tien. Contrairement ? un pays comme le Canada ou le broker n’est pas l?galement responsable de la d?claration, en Ha?ti, il en est redevable. L’article 10 du d?cret sur le statut du commissionnaire en douane stipule que <>. Au Canada, c’est plut?t la responsabilit? de l’exp?diteur ou du client.

Le client choisit son broker qui produit en son nom la d?claration sur le syst?me douanier Sydonia-World. Au moment de la d?claration, le broker choisit le type de <>. Il en existe plusieurs. Les r?gimes les plus utilis?s en Ha?ti sont : consommation, r?exportation, transit et franchise. Quand le broker produit sa d?claration dans le syst?me (Sydonia-World), il remplit un formulaire et affecte chaque marchandise ou groupe de marchandises ? un r?gime. Pour ce faire, il a besoin de la liste des documents obligatoires suivants : le NIF-client, la facture d’achat ? l’?tranger et le <> ou le connaissement. Selon le type de marchandises, la douane peut ajouter d’autres documents. Par exemple, pour l’importation de riz, le certificat de fumigation et le certificat d’origine sont ?galement requis.

Le broker doit aussi remplir dans le syst?me Sydonia-World une d?claration de valeur qui indique la valeur FOB (Free on Board) de la marchandise et l’ensemble des frais aff?rents. Le syst?me lui fournit alors un num?ro de dossier qu’il transmettra ? la douane qui va analyser la v?racit? des documents justificatifs pour voir s’ils sont conformes aux normes et si le broker est en r?gle avec le fisc et en conformit? avec les exigences du code douanier. Si la d?claration est accept?e, le Service d’?valuation de l’AGD ?tudie le dossier pour lui accorder un circuit.

Il existe trois cat?gories de circuits : le circuit vert, le circuit jaune et le circuit rouge. Le premier est attribu? ? une d?claration du broker qui est accept?e comme telle par la douane, c’est-?-dire aucune v?rification n’est requise. Qui obtient ce genre de circuit ? Selon l’historique des d?clarations des grandes entreprises, la douane peut leur attribuer un circuit vert leur permettant de partir avec leurs marchandises avec la possibilit? d’effectuer des v?rifications sur place. On croit ces entreprises sur la base des documents soumis. En cas de fraude durant la v?rification sur place, le circuit vert peut lui ?tre enlev? et des p?nalit?s impos?es. Les compagnies de vente de v?hicules neufs obtiennent souvent ce type de circuit. Les d?tenteurs de franchise b?n?ficient g?n?ralement du circuit vert ?galement.

Le circuit jaune concerne les petites et moyennes entreprises qui n’importent pas r?guli?rement. Le processus de v?rification de ce circuit prend beaucoup plus de temps. L’analyse documentaire de cette cat?gorie d?termine si le dossier va en circuit vert ou plut?t en circuit rouge. Celui-ci englobe tous les clients consid?r?s comme risqu?s. Tous les effets personnels font partie de ce circuit.

Parmi les trois circuits, le vert peut faciliter davantage la contrebande et le trafic de produits illicites. La franchise peut donc faciliter ce type de fraude ou ces crimes puisqu’elle donne acc?s ? un circuit privil?gi?. Parfois les brokers utilisent un seul quitus (attestation d’acquittement des imp?ts par une entreprise) pour produire plusieurs d?clarations afin d’?viter ? leurs clients de payer s?par?ment leurs redevances fiscales ? la DGI. Ils peuvent aller jusqu’? utiliser le quitus ? l’insu de son propri?taire. Il existe alors un risque que ce propri?taire soit impliqu? dans une fraude ou un crime sans qu’il le sache. Le d?tenteur d’une franchise l?galement acquise peut d?cider de la trafiquer sciemment aussi.

Il convient de noter que le directeur du bureau de douane d?tient un fort pouvoir discr?tionnaire. Il peut accorder un circuit vert ? n’importe quelle entreprise de son choix, autoriser un douanier de faire la v?rification ? domicile pour une entreprise et m?me agr?er la livraison d’un container sans v?rification aucune, sur la base de la simple d?claration du broker. Toutes ces pratiques peuvent facilement d?boucher sur la corruption, le trafic d’armes et de drogue ou la criminalit?. Le propri?taire n’a qu’? soudoyer le douanier pour qu’il se taise.

Il faut toutefois reconnaitre que certains types de produits, de par leur nature, sont naturellement sujets ? une livraison et une v?rification ? domicile. C’est le cas de la viande par exemple. Le broker dispose de grands pouvoirs mais ne peut pas frauder le syst?me ? lui tout seul ? une grande ?chelle. Il faut l’implication de tout un r?seau qui souvent d?passe les fronti?res de l’AGD.

Si l’octroi des franchises peut correspondre ? une imp?rieuse politique d’attraction des investissements, il provoque un important manque ? gagner pour le Tr?sor public. Ce manque ? gagner s’?levait ? 19 milliards de gourdes pour l’exercice fiscal 2017-2018, selon les donn?es fournies par l’ex-directeur g?n?ral de l’AGD, Romel Bell, lors d’une conf?rence de presse donn?e au minist?re de la Communication le mardi 27 novembre 2018. Il avait r?v?l? que pour la p?riode allant de 2015 ? 2018, le gouvernement ha?tien avait perdu environ 37 milliards de gourdes ? cause des franchises douani?res ? outrance accord?es ? des organisations non gouvernementales.

Pour l’exercice fiscal 2015-2016, le manque ? gagner ?tait de 8 milliards de gourdes contre 10 milliards pour l’ann?e fiscale 2016-2017. M. Bell conseillait alors ? l’?tat ha?tien de couper les franchises de certaines institutions, ce qui paraissait assez improbable puisqu’Ha?ti a sign? la Convention de Vienne accordant la franchise douani?re ? certaines institutions. Il faudrait cependant utiliser cet instrument de politique fiscal avec minutie. Soulignons que cette perte de recettes engendr?e par l’octroi de franchise est beaucoup moins importante pour l’?conomie ha?tienne que les cons?quences n?fastes du trafic d’armes ill?gales ? la base de l’ins?curit? actuelle et du kidnapping. Trafic dont l’ex-directeur g?n?ral de l’AGD, Romel Bell, ?tait soup?onn? d’implication.

Thomas Lalime

thomaslalime@yahoo.fr

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