Crise politique et crise de la connaissance en Ha?ti

Black Immigrant Daily News

The content originally appeared on: Le Nouvelliste

La crise ?conomique et politique sociale s’aggrave en Ha?ti au moment o? le nombre des Ha?tiennes et Ha?tiens dipl?m?s dans ce pays et ? l’ext?rieur tend ? augmenter. Voil? les signes d’une crise de la connaissance. C’est comme si les connaissances apprises ne servaient pas ? faire avancer la soci?t? ha?tienne. La mani?re dont les individus produisent la connaissance et dont les institutions l’utilisent est inappropri?e face aux d?fis ?conomiques et politiques de leur soci?t?.

Selon les d?clarations de nombreux acteurs, la r?ponse ? la crise doit ?maner des citoyens ha?tiens. Cependant personne ne parle de l’universit? comme une instance pouvant contribuer ? montrer les possibilit?s. Pourquoi ?carter l’universit? en pensant que les autres composantes de la soci?t? ont d?j? les bonnes r?flexions et la bonne r?ponse ? Pour leur part, les dirigeants ha?tiens n’ont aucune intention de faire appel ? l’universit? en tant qu’institution et lieu de production de savoir afin d’expliquer les causes de la crise. M?me les responsables universitaires ha?tiens n?gligent cette d?marche. En croyant que l’universit? est dysfonctionnelle, personne ne croit qu’une r?ponse pertinente peut venir de cette instance. Pourtant cette croyance est erron?e et elle est li?e ? une tradition de la connaissance qui dure depuis la p?riode de l’esclavage.

En g?n?ral, les soci?t?s ont toujours les connaissances qui leur permettent de r?pondre ? leur dysfonctionnement. Au cas o? un probl?me surgirait, il suffit aux penseurs de revisiter les connaissances d?j? produites, de constater leurs carences et de les corriger afin de trouver de nouvelles r?flexions qui aident ? sortir de la crise. Les grandes renaissances intellectuelles ont souvent d?but? avec l’examen des connaissances du pass?. Or, les intellectuels ha?tiens r?pugnent de revoir ou de lire les connaissances produites sur la soci?t? ha?tienne. Ils adoptent une attitude hautaine envers la litt?rature nationale, entendent bannir certains auteurs ou minimiser leurs apports dans la tradition intellectuelle nationale en pr?f?rant enseigner et faire circuler en Ha?ti les r?flexions produites dans d’autres pays.

Voil? un mod?le de gestion de la connaissance qui est en crise quand il s’agit de construire un corps de r?flexions dans tous les domaines des sciences sociales et de la nature, car les uns refusent de lire les contributions des autres, de se parler et de produire des r?flexions sur leurs r?alit?s. Si beaucoup d’intellectuels ha?tiens ont ?tudi? dans les grandes universit?s du monde entier et sont aussi brillants que leurs condisciples ?trangers. Mais leur fa?on de g?rer la connaissance diff?re de celles des autres soci?t?s.

En g?n?ral, les connaissances sont l?, car les individus se mettent ? en produire dans les diff?rents domaines o? ils interagissent ; elles peuvent ne pas r?pondre ? tous les besoins du moment. Mais il n’en manque pas. La relecture et la r?vision de celles qui existent permet aux savants de relever des failles et d’?laborer des r?flexions nouvelles et de proposer des r?ponses mieux construites en renfor?ant la tradition intellectuelle du pays. Cependant les universitaires ha?tiens refusent de faire ce travail de renouvellement des connaissances existantes et d’entrer dans une tradition intellectuelle qui les place en continuateurs ou en disciples de leurs ain?s. Ils se voient plut?t les continuateurs de savants d’autres pays. Ils ne veulent pas se d?signer comme des h?ritiers des penseurs ha?tiens. Ils en ont honte.

Le refus de consulter les connaissances produites en Ha?ti n’est pas d? ? la faiblesse de ces textes qu’il est toujours possible d’am?liorer mais ? des discriminations install?es depuis le pass? colonial d’Ha?ti. En effet, depuis la colonie s’est implant? dans l’espace ha?tien, comme dans toutes les colonies, une tradition intellectuelle voulant que le savoir doit venir de l’ext?rieur. D?s ce moment, les instances de gestion de la connaissance ne demandent aux individus de la colonie de produire leurs propres id?es. ? partir de l? s’enracine une tradition de pens?e qui montre que l’intellectuel ha?tien choisit de lire le texte d’un auteur fran?ais ou un rapport produit par une institution internationale au lieu de consulter un ouvrage d’un auteur ha?tien qui parle de son pays. M?me sans avoir consult? cette r?flexion, il la consid?re comme sans valeur. Il n’est pas rare de constater qu’ils se mettent ? citer les textes d’auteurs d’autres pays et des vid?os d’autres pays afin de montrer qu’ils s’int?ressent ? leur pays. Cette forme d’utilisation de la connaissance atteste que les individus refusent de parler de leur r?alit? ; ils s’interdisent de s’?couter et de s’entendre. Cette forme d’engagement des intellectuels sert ? maintenir de vieilles discriminations coloniales et ? pr?server une certaine relation entre le savoir et le pouvoir et certains rapports de force engendr?s au sein de l’institution universitaire.

Cette forme de mobilisation du savoir qui ?tait utilis?e pour r?duire les esclaves au silence pendant la colonie est ? l’origine de la crise actuelle d’Ha?ti. Elle est ? l’origine de la pauvret? et de la crise politique ha?tien. Outre le fait qu’elle emp?che les citoyens de partager le savoir avec les citoyens, elle freine la recherche scientifique, contribue ? provoquer la disqualification des individus et ? entra?ner la formation d’une soci?t? de masse dont les membres sont sans rep?re. Les gens deviennent pauvres et contestants, car ils sont d?poss?d?s de tout savoir pratique et de toute initiative sur leur milieu. De plus, ils tendent ? s’opposer ? leurs dirigeants qui appliquent des connaissances qui diff?rent de celles qui existent dans leur soci?t?. Il ne leur reste alors qu’? manifester dans les rues pour montrer leurs d?sarrois. C’est ainsi qu’une crise de la connaissance se transforme en une crise politique sans issue, car sans la connaissance, personne ne sait quoi faire.

Le constat est que la crise s’envenime quand les jeunes vont massivement ? l’universit?, car l’?ducation re?ue les porte ? m?priser les r?alit?s qu’ils sont en train de vivre et ? d?laisser la r?flexion scientifique sur le potentiel du pays. Les g?n?rations pass?es refuseront de relire les textes qu’ils avaient ignor?s et qu’ils ont consid?r?s comme inf?rieurs par rapport aux textes produits dans les autres soci?t?s. De ce fait, ils ne parviennent pas ? produire de nouvelles r?flexions m?me s’ils se montrent tr?s brillants en mobilisant les textes qu’ils ont lus dans les pays ?trangers. Il n’existe pas un manque de connaissance, mais une crise du mod?le de production de la connaissance qui exige une refonte du syst?me ?ducatif en Ha?ti.

Actuellement, les gens manifestent dans les rues contre un gouvernement d?pass? par la situation. Ils ne peuvent rentrer dans leurs foyers, relancer leurs activit?s de production et r?cup?rer une partie de leur autonomie que s’ils sont en mesure ? la fois de reconstituer leurs connaissances sur le milieu et de produire leurs propres id?es sur le processus social. Que l’on se garde de demander ? des intellectuels de retourner vers une litt?rature qu’ils ont appris ? ignorer. Que l’on se garde d’exiger que les agents de l’?tat relisent les textes, exercice qu’ils n’ont jamais appris ? faire pendant leur p?riode de scolarit?. Quand cet ?ge est d?j? pass?, il est trop tard. Les gens sont d?j? coup?s de la r?alit? et ont d?j? cultiv? des pr?jug?s qui ne dispara?tront pas du jour au lendemain. La r?ponse viendra certainement de l’?cole et de l’universit?.

Dans ces espaces, les jeunes pourront commencer ? lire les textes produits sur leur soci?t? et ? s’int?resser ? la recherche scientifique sur les produits existant dans leur milieu. En critiquant et en commentant les textes, ils apprennent ? donner leurs propres propositions. En apprenant ? observer leur milieu, ils sauront comment orienter la recherche scientifique et valoriser le potentiel du pays. ? ce moment, ils ne seront plus d?sarm?s si une difficult? survient en Ha?ti. La perspective d’un tel changement montre que la soci?t? ha?tienne peut d?passer la crise de la connaissance qui semble aujourd’hui insurmontable selon la tradition coloniale de la connaissance qui domine actuellement en Ha?ti.

Fr?d?ric G?rald Ch?ry

?conomiste/statisticien

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